Blacksad est apparu comme une comète dans le ciel de la bande dessinée. Dès le premier album, « Quelque part entre les ombres » s’impose comme un succès populaire dans la bande dessinée animalière. Un succès qui ne se démentira pas avec « Artic Nation », la seconde enquête du grand chat noir. « Âme Rouge » l’entraîne à braver les foudres des politiques, les dangers de l’espionnage et de nouvelles déceptions humaines…
Fin de l’année 2000, Quelque part entre les ombres voit émerger la stature haute et souple d’un félin noir. Celle d’un privé désabusé qu’on appelle pour venir identifier le corps d’une jolie starlette. John Blacksad retrouve son ancien amour, une étoile apparue pour lui donner les plus beaux moments de sa vie. C’est le coupable de deux meurtres qu’il entreprend alors de retrouver. La descente vers les bas-fonds de New-York peut commencer…
Derrière une histoire, il est vrai, très classique, la force du dessin surprend et conquiert, l’émotion prédomine, les couleurs sont tout bonnement magnifiques alors que quelques personnages amusants viennent rappeler que Guarnido a longtemps bossé pour Disney.
En mars 2003, le duo d’auteurs réapparaît avec Artic Nation. Ils ont déjà marqué la mémoire de la bande dessinée et on les attend au tournant…
Après l’intro très classique du premier album, le scénariste vient titiller les vieilles plaies et bosses de l’Amérique, ce vaste territoire de liberté où il ne fait pourtant pas bon être d’une autre couleur que le blanc. Si Blacksad n’a cette fois pas de peine de cœur à panser, il doit retrouver une petite fille noire, enlevée sans qu’aucune plainte ne soit déposée, qu’aucune enquête ne soit menée… Ici, l’isolement, la misère, le chômage, la délinquance ont ruiné les derniers espoirs de ceux qui voulaient fonder un quartier où tous auraient leur place ! Déjà, certains appellent à « nettoyer nos rues des nègres et des ivrognes ! » (page 6). Notre chat noir n’en trouvera que plus de motivation pour déblayer un peu du côté de ce ramassis de racistes, leur prouvant au passage que tout n’est pas simplement blanc ou noir.
Diaz Canales instille la force du polar des durs à cuire propre à l’Amérique des années 50, les dialogues sont incisifs, la voix off omniprésente pour un cheminement constant dans les pensées du privé toujours plongé au dernier sous-sol de la bassesse de l’âme humaine. Ces caractéristiques propres à ce type de récit sont encore plus poussées dans Âme Rouge, le troisième album. C’est que le scénariste s’immerge dans une période trouble de l’histoire américaine, celle d’une chasse aux sorcières démentielle où il n’était pas de bon ton d’afficher un semblant d’idée communiste sans s’attirer les pires ennuis ! La guerre froide fait rage, l’Amérique possède la force de frappe atomique, les soviétiques non ! Le récit aborde les magouilles politiques, les mensonges policiers, les éliminations expéditives, les tortures mentales et physiques, l’espionnage… Blacksad, plus désabusé et fauché que jamais survit en jouant les gros bras pour un milliardaire qui claque son fric à Las Vegas. Et le hasard, sous forme de retrouvailles avec un vieil ami qui n’est autre qu’un probable futur Prix Nobel pour ses travaux sur la… bombe vont le projeter dans un vilain nouveau sac d’embrouilles. La violence des idées et des actes qu’elle entraîne, le crime (politique, cette fois), la paranoïa et une nouvelle belle rencontre amoureuse (au goût maussade, une fois encore !) entraîneront notre chat vers autant d’autres explorations de la méchanceté humaine.
Le quatrième album L’Enfer, le silence nous emmène à La Nouvelle-Orléans, où la fête de Mardi gras bat son plein. Grâce à Weekly, un producteur de jazz dénommé Faust fait la connaissance de Blacksad. Faust demande à ce dernier de s’occuper d’une affaire : un de ses musiciens, le pianiste Sebastian, a disparu. Il n’a pas donné signe de vie depuis des mois, mettant en péril le label musical privé d’une star. Faust craient que Sebastian ait, une fois de trop, sombré dans la drogue. Sa requête est d’autant plus pressante que Faust se sait atteint d’un cancer. Blacksad accepte la mission et découvre peu à peu que Faust ne lui a pas tout dit. Il s’aperçoit qu’il est lui-même manipulé, mais décide tout de même de retrouver Sebastian pour comprendre les raisons de sa disparition. Il ne sait pas encore qu’il va connaître son enquête la plus éprouvante, à plus d’un égard.
Blacksad aura un nouveau très lourd chapitre à ajouter à ses mémoires… et le lecteur se délectera une fois de plus devant un récit fort bien mené, un blues ambiant qui touche tous les protagonistes, des espoirs fragiles et émouvants qui cèdent devant le cynisme triomphant, des regards qui se posent sur l’homme qui évolue, se trompe, s’égare et cherche parfois le difficile chemin de la rédemption…
Oui, c’est sombre, vénéneux et triste… mais que c’est beau !
Article partiellement tiré du site www.yozone.fr